"Va
faire tes devoirs ! ! !" Pour de nombreux parents, le travail à la
maison est une dure épreuve, et ce qui devrait être un fructueux moment
d'apprentissage se transforme en soirées gâchées et parties de bras de
fer. Mais comment sortir du pensum ? Rencontre avec Laetitia Guedon *,
formatrice en gestion mentale, conseillère pédagogique au groupe
scolaire Fénelon-Sainte-Marie, à Paris.
Caroline Wallet
Que proposez-vous aux parents qui veulent aider leurs enfants à faire leurs devoirs à la maison ?
Il s'agit avant tout
d'exercer son bon sens. Si l'enfant a de bons résultats, en rapport avec
le travail qu'il fournit, il n'y a rien à changer. En revanche, s'il a
de mauvaises notes ou que les bonnes notes sont obtenues au prix d'un
effort trop important - il n'a plus le temps de jouer ni de faire du
sport -, il faut modifier son style d'accompagnement.
Concrètement, que faut-il changer ?
Il est nécessaire de
revoir ses habitudes et les nôtres ! Beaucoup de mères, croyant bien
faire, s'empressent de mettre leur enfant au travail dès le retour à la
maison ; surtout si elles savent qu'il est en difficulté. "Pour gagner
du temps", certaines distribuent le goûter sur le chemin du retour ! En
sortant de l'école, l'enfant est fatigué par la concentration fournie,
par sa vie sociale. Il a besoin de se détendre. Il y a fort à parier que
le temps qu'il va passer sur ses devoirs est beaucoup plus important
que le temps de travail efficace qu'il va pouvoir fournir. Peut-être ne
réussira-t-il pas du tout à faire ce qui lui est demandé ? L'épreuve
de force, le cercle vicieux, se met en place. Les parents accentuent
leur pression : il faut travailler plus. Lui a déjà l'impression de ne
faire que cela ! Découragement et frustrations apparaissent. Lorsque
les parents rentrent du bureau, ils ne se jettent pas tout de suite sur
leur ordinateur ou leur livre ; ils s'octroient un moment pour
souffler. Laissons de même à l'enfant le temps de goûter assis, de
parler de ce qu'il veut, pas forcément de l'école. On peut s'intéresser à
sa journée à lui, pas seulement à celle de l'élève : "A quoi as-tu joué
aujourd'hui ? A côté de qui étais-tu à la cantine ?" Ainsi, il existe
pour lui-même et ne sent pas seulement peser sur lui la quête anxieuse
de ses parents : a-t-il réussi la dictée, le contrôle de maths ? Demandez-lui
ensuite ce qu'il aimerait faire : jouer, dessiner, sortir, ou rêver sur
son lit ? C'est une des seules fois dans la journée où il a la
possibilité de choisir. Il doit pouvoir décharger cette énergie -
physique, créatrice - contenue durant le temps scolaire, et qui, non
exprimée, l'empêcherait de bien travailler. Il faut compter
une bonne heure de repos. On fixe avec lui une limite dans le temps :
"Quand tu te seras détendu, tu feras tes devoirs". A l'heure dite, il
faut exiger de lui qu'il s'y mette. En réalité, le temps de récupération
permis est du temps gagné pour le travail.
Que faire lorsqu'il montre de la mauvaise volonté pour se mettre au travail ?
Nous parlons d'un enfant
en réelle difficulté scolaire. Quand les mauvais résultats viennent
d'un manque de travail manifeste, et uniquement d'un manque de travail -
ce qui est très différent de difficultés d'apprentissage -, cela relève
de l'autorité des parents. La mauvaise volonté peut aussi
venir du désespoir de celui à qui ses parents disent : "Tu joueras
lorsque tu auras fini tes devoirs". Il sait que le risque est grand de
s'entendre dire après qu'il est l'heure de dîner et d'aller au lit ! Il
voit donc s'éloigner toute possibilité de s'amuser. Je
propose au contraire de lui expliquer ce qu'il va faire : se détendre
dans un premier temps, puis se mettre au travail. Ses parents exigeront
alors de lui ce temps de travail, adapté à son âge. Il s'agit d'un
contrat qui demande une certaine discipline et organisation.
Lorsque l'enfant est bien reposé, il faut tout de même qu'il s'y mette !
Oui, après le temps de
détente proposé, il s'agit de "revenir" peu à peu vers l'école en
prenant des nouvelles de sa journée de classe. Demander à
l'enfant par quoi il veut commencer le valorise. De plus, s'il débute
par ce qu'il aime, son travail sera plus vite et mieux fait. Dans le cas
contraire, il y a risque de découragement.
Que faire justement lorsque l'enfant se décourage ?
Ne pas nous décourager,
nous ! Ou en tout cas, ne pas le montrer. Au contraire : on croit en lui
et on le lui fait savoir. Je dis aux parents que je rencontre : "Vous
devez vous positionner en fan". Lorsqu'il revient avec une mauvaise
note, il est important de le rejoindre : "Qu'a dit la maîtresse en
rendant la dictée ? Qu'as-tu ressenti alors, as-tu eu envie de pleurer
?" Il doit se sentir compris et soutenu pour avancer. On peut essayer de
chercher des circonstances extérieures atténuantes : "Tu étais
peut-être fatigué ?" Il faut lui laisser penser qu'il peut faire mieux.
Si on lui laisse croire qu'il n'est pas bon, il ne peut plus se projeter
dans l'avenir ! S'il est découragé, le message à faire
passer au moment des devoirs, c'est : "Viens, je vais t'aider. Je
découpe les étiquettes et tu les colles !" Ou bien : "Avance la
rédaction de l'exposé et je cherche les définitions dans le
dictionnaire". Il est important de saisir toutes les occasions de le
féliciter : "Bravo, tu as été rapide aujourd'hui !" En renforçant son
estime de lui-même, l'enfant reprend courage. C'est un peu le travail
d'un sportif et de son coach. Dans la même optique, on peut commencer
très tôt à définir avec lui des "miniobjectifs".
Qu'appelez-vous "miniobjectifs" ?
L'enfant qui revient
avec zéro a peu de chances d'obtenir la fois suivante la note brillante
dont ses parents rêvent. Le résultat lui paraît inaccessible et il va
baisser les bras. Lui fixer un "miniobjectif", c'est lui fixer un
objectif à sa portée : "Cette fois-ci, tu as eu un 0, eh bien, la
prochaine fois, nous allons viser un 1 !" Il s'agit de lui redonner
confiance et de l'aider à remonter la pente. Pour cela, il est aussi
nécessaire de se pencher sur sa manière de travailler.
Combien de temps est-il raisonnable que l'enfant étudie le soir ?
Chaque enfant a son
rythme, il serait préférable de parler en termes d'effort. Un gros quart
d'heure est raisonnable en CP. Si les parents constatent des problèmes
de concentration, ils peuvent proposer de fractionner le travail : dix
minutes de concentration, dix minutes de jeu, puis à nouveau dix minutes
de travail. J'ai emprunté cette méthode à Tony Buzan,
auteur d'un ouvrage sur la gestion du temps. Une élève de seconde, en
difficulté malgré trois heures d'un travail quotidien à la maison, m'a
un jour vivement remerciée devant l'un de ses profs. Je lui avais
simplement recommandé ce rythme : une heure de détente, trois quarts
d'heure de travail, un quart d'heure de pause, trois quarts d'heure de
travail. Les conditions sont optimales !
Y aurait-t-il une méthode valable pour tous les élèves ?
Non, il existe de
multiples formes d'intelligence et de moyens d'apprendre. Certains sont
plutôt visuels, d'autres ont une mémoire plutôt auditive ou plutôt
kinesthésique. Bien sûr, personne n'est jamais seulement
l'un ou l'autre, chacun de nous a une caractéristique dominante.
L'observation dans la vie quotidienne donne des indications. C'est
important de bien exploiter sa tendance naturelle. Cependant, le mode
d'apprentissage de chacun peut s'enrichir au fil du temps. Ainsi, un
visuel pourra être incité à travailler aussi son côté auditif, afin
d'améliorer ses performances.
Comment peut-on l'aider à apprendre ses leçons ?
Les parents peuvent
inviter l'enfant à s'interroger : que veut dire son professeur par
"apprendre" la leçon ? Est-ce la savoir par cœur ? Savoir la raconter ? L'enfant
doit la "reformuler" avec ses mots à lui s'il est auditif. S'il est
visuel, on l'incitera à mémoriser l'image de la trame : titres et
sous-titres, ou à se créer une image mentale du contenu. L'important
est que la leçon passe par sa propre "moulinette cérébrale" afin qu'il
puisse se l'approprier. Par exemple, en lisant une leçon
d'Histoire-géographie, l'enfant peut se demander : comment raconter ce
texte ? Est-ce que je peux m'en faire une image mentale, à laquelle me
référer lorsque je n'aurai plus mon cahier ? Qu'est-ce que l'instituteur
(le professeur) pourrait me poser comme questions ? Si un enfant met
des heures pour apprendre, ce pré-travail devrait l'aider. S'il n'a pas
de difficulté pour mémoriser, il faut s'assurer que la compréhension
soit bien installée. Cela garantit la bonne utilisation des
connaissances. Précédée par la compréhension et la réflexion, la
mémorisation se met en place plus aisément.
Que faire avec un enfant qui sait ses leçons à la maison mais ne peut restituer correctement à l'école ?
L'aider à se projeter
dans l'avenir. L'inviter à se mettre en situation : "Imagine que tu es
dans ta classe, devant ton professeur". S'il sait sa leçon à la maison,
il est peut-être nécessaire de lui rappeler que le but est de savoir le
jour J : "Bravo, demain, tu pourras réussir de la même manière !" Si
on se contente de le féliciter, cela sous-entend que l'objectif est
atteint, et certains enfants envoient alors - inconsciemment - leur
science toute neuve aux oubliettes ! S'il se trompe, on
l'encourage : "C'est bien que tu fasses la faute avec moi, on corrige
ensemble, demain, tu auras tout juste". Il est éclairant de s'intéresser
à la faute : "Pourquoi écris-tu ceci ?" L'enfant est souvent "logique"
dans son erreur.
Cette façon de travailler est lourde pour les mères déjà bien occupées ?
La priorité numéro un
n'est-elle pas de permettre à l'enfant de s'en sortir ? Quand les
difficultés scolaires sont très importantes, il me semble que les
parents n'ont pas vraiment le choix. Ceux que je rencontre
sont souvent très motivés. Je recommande d'expliquer la démarche aux
autres membres de la famille, le mieux étant, je pense, de le faire en
tête à tête. Il y a forcément de nouvelles habitudes à prendre.
Certaines mères s'arrangent par exemple pour préparer le dîner à
l'avance, ou consacrent du temps aux autres enfants pendant le moment de
détente de celui qui est en difficulté. Si des tensions quotidiennes
peuvent être évitées, c'est l'ensemble de la famille qui en bénéficie.
Que proposez-vous aux parents qui ne sont pas présents lorsque les enfants font leurs devoirs ?
Votre question me
rappelle le cas d'un élève de troisième en difficulté, que sa mère
appelait du bureau toutes les demi-heures pour savoir où il en était !
Elle était très angoissée. A son retour, il n'avait effectivement pas
fait grand-chose, assis devant ses cahiers ouverts. Les apprentissages
se déroulaient sur fond de cris et reproches. J'ai conseillé à la mère
de ne plus téléphoner, de laisser à son fils du temps libre jusqu'à son
retour, pour pouvoir ensuite exiger de lui de une heure à une heure
trente de travail efficace. Enfin, de profiter du week-end pour
organiser l'emploi du temps de la semaine et passer en revue ses
méthodes de travail. En résumé : lui apprendre à se
détendre en rentrant, à "reformuler" ce qu'il doit savoir selon son mode
(mots, images...), à fractionner ses révisions en travaillant sur
plusieurs jours un contrôle important, à se "projeter" en visualisant le
contrôle final (salle, professeur, autres élèves...), à chercher les
questions. Le tout sans oublier de fixer avec lui des miniobjectifs de
progression et en le félicitant le plus possible !
Jusqu'à quel âge pensez-vous qu'il soit nécessaire d'accompagner les enfants dans leur travail scolaire ?
Dès lors que nous
parlons d'un enfant en difficulté, il n'y a pas d'âge. Lâcheriez-vous la
main de quelqu'un qui risque de tomber sans votre soutien ? Certains
travaillent seuls dès le primaire, d'autres ne pourront être autonomes
avant la cinquième ou même... la terminale !
Faut-il récompenser les succès ?
La méthode dite "de la
carotte et du bâton" ne donne rien. A mon sens, elle est inutile. Qu'on
prive un enfant d'anniversaire ou de télé, qu'on promette un cadeau : il
ne s'ensuit pas automatiquement une amélioration ! Il est plus
profitable de discuter pour essayer d'analyser le pourquoi des mauvaises
notes et tenter ensemble d'y remédier. Et fêter une réussite en
préparant son plat préféré, ou en faisant avec lui quelque chose qu'il
aime. Ces petits trucs permettent de souligner un succès, de s'en
réjouir ensemble, et de montrer à l'enfant l'intérêt qu'on lui porte.
Au groupe scolaire Fénelon-Sainte-Marie, vous formez aussi bien les enfants que les parents ?
Mon travail avec les
élèves commence dès le CP. Je rencontre chaque classe une demi-heure par
semaine et je leur donne les prémices d'une méthodologie. Ils
apprennent à former un projet, à développer leur écoute. Je leur demande
d'écouter pour imaginer dans leur tête, et être ensuite capable
d'expliquer ou de raconter leur image mentale. Pour l'entrée en sixième,
je vois les élèves pour une heure de méthodologie hebdomadaire jumelée
avec l'heure de vie de classe, et je propose aux parents qui le désirent
de suivre une formation le soir. Les enfants du collège en difficulté
peuvent participer à mes études encadrées. Je leur apprends à apprendre.
Pour les lycéens qui viennent me voir, nous établissons ensemble leur
propre profil d'efficacité.
En quoi tout cela consiste-t-il ?
J'aide l'enfant à mieux
se connaître, nous menons ensemble une petite investigation sur
lui-même. Je cherche à savoir comment il écoute et observe son prof de
tennis par exemple, quels sont ses loisirs favoris, comment il fait sa
valise, comment il s'y prend lorsqu'il veut faire un dessin... Bref, je
lui montre qu'il a des stratégies mentales qu'il mobilise facilement
dans la vie courante, et qu'il peut s'en servir au moment opportun pour
son travail scolaire. Lorsque je demande à un collégien de raconter le
film qu'il vient de voir, il le fera selon son mode cérébral
préférentiel. Certains résument d'emblée l'histoire, d'autres commencent
par narrer la première scène en détails... De même, face à
une action, les premiers se situent dans la globalité : pour apprendre
une leçon, ils ont besoin de savoir quelle est la problématique posée,
quelle réponse y est apportée, tout en repérant la structure. Ceux-là
ont plutôt l'esprit de synthèse. Les seconds, plus séquentiels,
préfèrent respecter la chronologie de leur leçon et avancent pas à pas.
Ils ont un fonctionnement analytique. Je les aide à comprendre s'ils
sont plutôt "expliquants" - dans ce cas, ils ne peuvent utiliser une
règle que s'ils la connaissent par cœur - ou plutôt "appliquants" : ils
ont intérêt alors à se servir de la règle avant de l'apprendre. Il n'y a
pas de bonne ou de mauvaise méthode : j'incite l'élève à attacher
autant d'importance aux explications qu'aux applications, tout en
respectant son fonctionnement initial.
* Laetitia Guedon. Cette
ancienne infirmière néerlandaise travaille depuis 1989 en milieu
scolaire avec des enfants en difficulté, leurs parents et leurs
enseignants. Elle s'est formée à la pédagogie avec les méthodes
suivantes : gestion mentale, programmation neuro-linguistique et méthode
Gordon.